Ce matin, c’est le dernier jour du rituel. Nous sommes au douzième jour. Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de mon deuxième enfant. Aujourd’hui, je clos des cycles et cela signifie que j’en ouvre de nouveaux. J’aime cette idée.
Je retrouve les mots d’Alice Zeniter et je repense à ma contrariété quand je les ai lus la première fois. A cette image convoquée encore d’une opposition entre parentalité et écriture. Cette image qui met du temps à se déconstruire.
« Il m’aurait été impossible de fermer la porte de mon bureau ou de ma chambre ».
Le mot porte me fait penser à Sophie Astrabie et le mot chambre à Wirginia Woolf.
Je ne crois pas que l’impossibilité de fermer une porte nous viennent de la parentalité mais plus exactement que c’est le résultat de notre socialisation en tant que fille puis femme qui nous amène à laisser les portes ouvertes, parce que nous avons appris et intégré que nous sommes don de soi, que nous devons agir ainsi par amour. Il est sous-entendu que nous serions des mères mal-aimantes si nous osons sortir de ce modèle-dogme.
Avec cette citation, ce matin, c’est la carte de l’escholtzia qui tombe avec ses trois mots : imagination, rêve, créativité. Je repense à la citation de Maggie Nelson reprise par Alice Zeniter et au livre Les Argonautes. Je pense à comment Maggie Nelson réfléchit à la parentalité, à sa parentalité queer. Je pense aussi à la liberté que la parentalité octroie, parfois et à la source d’imagination qu’elle fait jaillir. Repenser des liens et des façons de vivre, de faire famille comme le titre du livre de Gabriel Richard ou comment faire manger des légumes, prendre un biberon, bercer, faire faire les devoirs et j’en passe. Chaque situation vécue est à la fois nouvelle et unique et inscrite dans une forme de répétition.
“Mais peut importe ce que je suis, ou ce que je suis devenue depuis, je sais maintenant que l’insaisissabilité n’est pas tout. Je sais maintenant que l’art savant de la dérobade a ses propres limites, ses façons d’inhiber certaines formes de plaisir ou de bonheur. Le plaisir de maintenir. Le plaisir de l’insistance, de la persistance. Le plaisir de l’obligation, le plaisir de la dépendance. Les plaisirs de la dévotion ordinaire. Le plaisir de reconnaître que l’on doit peut-être retraverser les mêmes révélations, prendre les mêmes notes dans la marde, retourner aux mêmes thèmes dans son travail, réapprendre les mêmes vérités émotionnelles, écrire le même livre encore et encore, pas parce qu’on est stupide ou obstinée ou incapable de changement, mais parce que de tels retours composent la vie.
Les Argonautes, Maggie Nelson
Imagination : cela tombe bien car il est nécessaire de repenser la parentalité. Et toujours, encore, déconstruire l’image de la mère-donnetout. Nécessaire d’imaginer « la mère » autrement que comme elle nous est imposée depuis la période post industrialisation et le travail de reproduction dont parle Silvia Federici.
Le travail domestique n’incombe pas à la mère, le travail du Care non plus. La parentalité doit devenir une réalité concrète et partagée, pas simplement un mot pour gommer en apparence le surinvestissement demandé aux femmes dans la relation à l’enfant. Devenir parent ne dévore pas nos identités. Cela ne signifie pas qu’elle ne nous change pas en profondeur ou que notre centre de gravité est toujours le même - au même titre que bien d’autres expériences de vie - mais elle ne doit pas nous dévorer sans quoi, nous sommes des êtres disparus. Des corps à la merci de la société capitaliste. Et cela, je m’y refuse.
Rêver d’une société autre.
Dans Un jeu d’enfant : prose et parentalité, on retrouve certains témoignages dont celui de Coline Pierré ou Sophie Andriensen ou encore Sophie Brasme qui parlent de la cohabitation de l’écriture et de la parentalité voire de la toute jeune parentalité. Virginie Noar dit :
« D’autre part, c’est l’expérience même de la maternité qui a rendu ce désir d’écriture impossible à réfréner […] ».
Aucune de ces personnes ne dit que l’écriture et la parentalité cohabitent facilement mais toutes pointent la question de l’organisation, de la répartition des tâches domestiques et que la parentalité n’incombe pas à une seule personne.
Les longues siestes de Petite Ficka m’ont permis d’écrire une grande partie de Colostrum, mon conjoint et notre organisation a permis que j’y consacre du temps également et que je ferme la porte du bureau.