Je lis cette citation après avoir bu mon premier verre d’eau de la journée. Je pense au tissage qui se fait avec hier et les jours d’avant. Je ne choisis pas l’ordre des citations, je choisis les citations, je les numérote et chaque matin, je pioche un nouveau numéro.
La succession de mots autour du fil, des fantômes et de la couture, c’est la trame de tout mon projet de poésie. Sans le savoir vraiment, c’est peut-être ce qui me guide ici, cette même traversée, cette même pensée.
Depuis l’enfance, on nous plonge dans une culture peuplée de fantômes. Il y a eu Casper, le gentil fantôme et puis Gafi le fantôme avec qui j’ai appris à lire. Alors, je crois que je n’ai jamais eu peur des fantômes, j’en fait des compagnons de vie, de jeux. Qui n’a jamais voulu de Casper ou Gafi comme ami ? Même dans Harry Potter, ils ne m’effraient pas. Même Mimi Geignarde.
Je pense à cette figure du fantôme souvent convoquée, à cette habitue de vivre avec le passé. Cette culture de la “hantise du passé”, ce passé dont il faut tirer des leçons pour le “futur” qu’on nous apprend jamais à penser. J’ai commencé à lire des utopies en 2023, j’ai commencé à cesser de fouiller frénétiquement derrière moi comme on fouille une poubelle. Comment agir si toujours, nous regardons le temps qui n’est plus ? La figure du fantôme, cette trace de vivant qui n’est plus mais qui reste, est-ce une sagesse ou une prison? Cette trace indélébile.
Je les connais les fantômes qui peuplent mes histoires, ces traces indélébiles qui parfois sont encore brûlantes. Ils sont toujours les mêmes. Je peux donner leur prénom, raconter des histoires amputées. Je peux pleurer parce que l’existence des corps n’est plus mais que les souvenirs étouffent encore mes sanglots.
Je les connais mais quand j’écris « traces indélébiles », c’est à ma césarienne que je pense. Au chirurgien qui chante. Je suis devenue mère sous le chant moi qui ne sais pas chanter. Une joie. La deuxième fois, j’ai eu peur et j’ai eu l’amour en réponse. Deux joies.
Je pense aux cicatrices celle dont je ne connais rien et qui vit sur mon nez. Une trace de la toute petite enfance. J’ai été un bébé. Et à celle que je caressais mais qui a disparu comme celle sur mon mollet. Brûlure de salle de bain dans une course au bain et des jeux d’enfants. J’ai été une enfant, je suis une grande sœur.
Et aujourd’hui, mes fantômes côtoient peut-être ce que ma peau n’a pas retenu, des petites morts salutaires. L’adolescente et la jeune adulte. Les certitudes en éclats, les changements de voies et bientôt la mère de deux enfants. Les fantômes accompagnent les mues avant d’exiger les récits, connaître les histoires effilochées. Construire du sens. Ecrire, peut-être aussi que c’est un deuil. Dire ce qui ne sera plus, c’est quitter.
La force du mot sur le papier est celle-ci, elle décharge. Ecrire est un oubli qui ne se sait pas encore. On conserve la trace, on la range, on externalise, on lâche prise avec ce qui habite nos corps, nos plumes, nos voix, nos pas, nos têtes.