Aujourd’hui, c’est le 5e jour du rituel, le mois de Mai : le mois du soleil et des jours fériés. Le mois du repos qui s’annonce, du temps autre. Le mois de Mai est un moi qui appelle au ralentissement. Devant ma citation, je ne sais pas vraiment vers où aller. Je me souviens du vent qui m’habitait à la lecture de l’essai de Serge Latouche, je l’avais acheté à la quelque part au mois de Mai dans une librairie que j’aime beaucoup de Bordeaux.
Ce hasard me fait sourire. Je pense toujours un peu à la magie, au rituel et aux espaces qu’on se crée pour réchauffer nos âmes. Si le vent était puissant et fort, en fermant le livre, je dois reconnaître qu’il s’est tu et s’est épuisé quelque part dans mes trajets quotidiens, sur les rails , dans la nuit qui avale tout. Ai-je manqué de courage ?
Comment transforme-t-on une existence ? L’appel des mots est toujours, pour moi, une aspiration puissante, je lis avec boulimie pour remplir le vide laissé par ce qui ne fait plus sens. J’écris des petits poèmes où j’espère voir naître une prairie ou consigner l’amour des jours passés.
A la fin de cette lecture, je rêvais décroissance, écriture, lien, collectif. J’avais envie de crier ma fatigue d’une société dans laquelle je ne me sens pas à ma place, d’une société qui épuise mon corps, d’une société qui ronge mes rêves et mes os. La fatigue des gens pressés, des liens qui se rompent, de l’absence de dialogue et de magie. La fatigue du constat de la ruine de nos humanités.
A la fin de l’été ou quelques temps après, on m’a dit cette phrase qui ne s’est pas évaporée « Pendant les vacances, tu étais moins à vif, moins stressée, plus apaisée ». Je n’ai même pas eu de colère, pas eu envie de me défendre. Peut-être à ce moment, la résignation a gagné. J’étais triste. La phrase a navigué jusqu’à heurter ce souvenir de la colère sous les doigts, au bout des lèvres et l’envie de refaire le monde à la fin de ma lecture. Ce temps où j’étais pleine d’un espoir que ces derniers mois s’amusent à torturer. Parfois encore, j’éclate en sanglots. Pas les sanglots longs des violons plutôt les sanglots flots de l’affliction.
Il n’y avait aucun feu qui brûlait mon ventre ou mes joues. La honte, même la honte, m’avait quittée. Celle qui cohabitait sous ma peau, jamais bien loin, celle qui grimpait à mes joues ou me murerait dans le silence. Même elle avait disparu, en quelques semaines. Je n’étais peut-être qu’une pâle copie de moi-même, une copie qu’on transforme un peu pour ne pas se faire choper. On rajoute une dose de stress, un teint terne, on enlève des espoirs, on esquisse vaguement une nuit de repos et on saupoudre de peur. Celle qui immobilise, pas l’autre. L’autre on l’enlève aussi. Une copie originale de moi-même.
Il y a toujours ces moments de revanche. Cette petite voix au fond des talons qui hurle et mord, en sourdine. On dit “le corps craque”. Le corps a pleuré des larmes grises dans la ville grises sous le ciel gris en sortant de la librairie. Le corps s’est assis sur le siège gris dans le train gris de poussière qui allait sous le ciel gris. Le corps a pleuré et puis, la petite voix qui hurlait depuis les talons qui battaient le pavé, a dit “stop, pas comme ça.”